L’émission de France 2 « Islam » du 24 juin 2018 était consacrée à la problématique de la traduction du Coran, sujet hautement sensible pour les musulmans, l’arabe étant réputé être une langue sacrée, ce qui génère dans le monde arabo-musulman une immense fierté, mais aussi souvent un certain mépris des autres langues dès lors qu’il s’agit de parler de religion.
Il faut louer l’objectivité avec laquelle les intervenants de cette émission ont évoqué cette question de la traduction. Les constats simples et de bon sens auxquels ils parviennent méritent hautement qu’on s’y attarde quelque peu.
- L’obscurité (en arabe) du texte coranique
Comme le rappelle un des intervenants, l’arabe des Quraychites (tribu de Mahomet) parlé au VIIème siècle n’est pas l’arabe moderne, sans compter que le texte du Coran est déjà par lui-même souvent obscur.
France 2 Islam 180624 Traductions du Coran 2 Extrait 3
« L’arabe coranique n’est la langue maternelle de personne. C’est une langue très particulière qui peut peut-être donner aux arabophones le sentiment d’une fausse accessibilité. »
« Il faut le reconnaître, le texte coranique en fait est souvent [en arabe, par définition] très compliqué, très obscur, beaucoup d’incertitudes … »
Que penser lors que l’intervenant rappelle que le calife Abu Bakr (mort en 634), contemporain de Mahomet (mort en 632), et premier « calife bien guidé » de l’islam, ne sait pas lui-même ce que veulent dire certains termes employés par Mahomet ?
France 2 Islam 180624 Traductions du Coran 2 Extrait 1
- « Traduire c’est trahir »
Un intervenant fait usage du dicton bien connu « traduire, c’est trahir » : en effet, il est impossible, pour quelque texte que ce soit, de rendre par une traduction la totalité des sens, images, qualités esthétiques sonores, etc. qu’il véhicule.
De fait, ce qui nous intéresse dans le cadre d’une analyse de la doctrine de l’islam, c’est seulement le sens philosophique du texte. Là encore, il semble qu’il faille déchanter : le Coran n’est guère aussi explicite qu’il prétend l’être, du moins si l’on en juge par les différences d’interprétation qui séparent les différentes écoles de l’islam, le fait de penser que la traduction par un musulman serait en soi meilleure que celle d’un mécréant étant par ailleurs une « pure illusion ».
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Cela étant, il est important de remarquer que les différences d’interprétation du Coran sont pour l’essentiel du 2ème ordre pour le non-musulman : ainsi par exemple, toutes les innombrables discussions sur les rituels n’ont aucune importance pour le mécréant. Mais pour ce qui est en revanche de la polygamie, de l’infériorité de la femme, de l’interdiction du mariage de la musulmane avec le mécréant, du rejet de la laïcité, etc., sujets de beaucoup plus grande importance, les musulmans sont tous d’accord.
- Paradoxe : les traductions sont en réalité des aides
Face aux difficultés soulevées par les nombreux passages obscurs du Coran et « à des vocables coraniques très hermétiques », on en arrive ainsi à la situation paradoxale dans laquelle les traductions peuvent être des aides utiles puisque le traducteur a dû, en plus de son travail linguistique, faire un travail exégétique plus ou moins approfondi pour savoir ce que le texte voulait dire. En effet, « Ce n’est pas parce qu’on est arabophone qu’on va comprendre forcément l’essence des versets coraniques »
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- Les traductions en français
Pour ce qui est traductions en français, les traductions de Denise Masson et de Régis Blachère semblent être des traductions de référence. Ce sont précisément ces deux traductions qui ont été utilisées dans le « Livret musulman de premier secours » que j’ai publié en juillet 2016 sur le site et qui est téléchargeable ici : http://islametoccident.fr/?page_id=1786
France 2 Islam 180624 Traductions du Coran 2 Extrait 2
- Conclusion
Une émission fort intéressante qui permet de se débarrasser de deux complexes dans la compréhension de l’islam à partir des textes originels : le complexe de supériorité des arabophones et celui, tout aussi désastreux, d’infériorité des non arabophones.
Fascinant. Se débarrasser de deux complexes, l’un d’infériorité car je ne lis pas l’arabe et de supériorité quand je me fais dire que je dois comprendre l’arabe m’est utile et agréable.
Cela m’indique aussi que mon contradicteur, affirmant que lire l’arabe est nécessaire à la « bonne » compréhension du texte, n’en sait pas plus que moi sur le texte. Sinon, il serait plus modeste dans sa déclaration.
Cette obscurité du texte originel pourrait bien expliquer les différentes écoles coraniques. Elle permet aussi à ce texte d’échapper à la critique. Chaque fois qu’une critique porte, un autre peut venir avec une autre compréhension et dire que la critique ne le touche pas. L’unité de l’oumma fait le reste.
Cette obscurité exclut radicalement l’unité entre les Musulmans. Leur religion ne va pas les réunir en une seule communauté. Ils ne peuvent qu’éviter les sujets qui fâchent.
Bref, ces informations sont simplement fascinantes.