Le Maroc a connu en 2004 une évolution importante de son droit au travers de la réforme du Code de statut personnel, ce qui a touché le code de la famille. Cette évolution tout à fait louable a visé à moderniser la société musulmane, notamment sur deux points qui vont nous intéresser ici : la prééminence de l’homme sur la femme et surtout la polygamie.
Ainsi, dans l’émission de France 2 « l’islam » de mars 2014 au mariage et au divorce, Omero Marongiu-Perria indique ainsi concernant le Maroc : « L’évolution du droit de la famille marocain est illustratif des grandes questions que se posent les jurisconsultes et les autorités aussi des pays d’islam : c’est que nous sommes dans un pays qui, historiquement est de droit malikite [ndlr l’école musulmane malikite est suivie par les pays d’Afrique du Nord], et par un débat de société, avec les référents religieux comme partie prenante, ils ont été capables de puiser dans les autres écoles juridiques musulmanes des avis, parfois considérés comme minoritaires à l’époque, mais qui étaient parfaitement fondés au plan du droit musulman, pour justement faire une avancée sociétale consistant à dire que désormais il n’y a plus de hiérarchie entre l’homme et la femme dans le couple – donc ils ont supprimé la notion de chef de famille –, ils ont restreint les possibilités de polygamie à des cas très exceptionnels, et ils ont permis un investissement social de la femme pour qu’elle soit complètement reconnue dans les sphères de la vie sociale. Et c’est une avancée majeure ici. »
France 2 Islam Mariage & Divorce mars 2014 Moudawana
Revenons sur ces deux points.
- La prééminence de l’homme sur la femme
La prééminence de l’homme sur la femme est clairement exprimée dans le Coran (cf. prééminence). Dans l’émission précitée, un reportage commente : « Il ne faut jamais l’oublier : dans le monde arabe, la question identitaire est fortement cristallisée autour de la question féminine. Et donc quand on a demandé à ces hommes : « écrivez ce que vous voulez des relations entre hommes et femmes », ils n’ont écrit que ce qui existait depuis des siècles. Ils n’ont pas regardé autour d’eux ce qui se passait. La montée en puissance des femmes dans le monde du travail n’avait pas encore eu de répercussion sur le plan de leurs droits personnels. L’innovation qu’il y a eu dans cette moudawana, dans ce Code du statut personnel [ndlr Maroc], c’est qu’il y a eu une relecture des textes à partir justement d’une perspective féminine. L’interprétation patriarcale, et je dirais machiste, de l’islam a fait qu’il y a eu toujours la répudiation et que le divorce était un droit de l’homme. Or on a remarqué que le divorce était un droit de la femme et de l’homme, qu’aussi bien la femme que l’homme pouvait l’utiliser, et ça avec des versets coraniques à l’appui. Le Maroc rejoint ainsi la Tunisie, largement en avance sur le plan du droit, dès 1958, et avant-gardiste sur le plan du statut de la femme. Mais c’est un combat sans fin. Le principe d’égalité entre hommes et femmes vient cependant d’être réaffirmé dans la nouvelle constitution tunisienne, votée en janvier dernier [ndlr janvier 2015]. »
France 2 Islam Mariage & Divorce mars 2014 Question des femmes
Si on ne peut que louer cette évolution qui prend la Tunisie comme modèle, pays « largement en avance sur le plan du droit », il ne faut sans doute pas s’étonner des propos relativement pessimistes du commentateur : « C’est un combat sans fin » dans le contexte de la culture musulmane.
- La polygamie
S’agissant de la polygamie, le Maroc tente avec raison d’en abolir la pratique à défaut d’être en mesure d’en abolir le principe puisqu’il ne peut pas être retiré du Coran : c’est une possibilité que le Coran offre et qui est incontestable. Une attitude plus audacieuse est celle de la Tunisie, qui a aboli la polygamie au niveau de l’État, mais sans tenter de justifier cette abolition. Pour le Maroc, tout l’exercice semble consister à tenter de démontrer, pour ne pas désavouer totalement le Coran, que la polygamie est « quasiment impossible ».
Lisons le préambule du Dahir n°1-04-22 du 3 février 2004 promulguant la loi n°70-03 portant code de la famille marocain : « 4. S’agissant de la polygamie, Nous avons veillé à ce qu’il soit tenu compte des desseins de l’Islam tolérant qui est attaché à la notion de justice, à telle enseigne que le Tout-Puissant a assorti la possibilité de polygamie d’une série de restrictions sévères : « Si vous craignez d’être injustes, n’en épousez qu’une seule ». Mais le Très-Haut a écarté l’hypothèse d’une parfaite équité, en disant en substance : « Vous ne pouvez traiter toutes vos femmes avec égalité, quand bien même vous y tiendriez » ; ce qui rend la polygamie légalement quasi-impossible. De même, avons–Nous gardé à l’esprit cette sagesse remarquable de l’Islam qui autorise l’homme à prendre une seconde épouse, en toute légalité, pour des raisons de force majeure, selon des critères stricts draconiens, et avec, en outre, l’autorisation du juge. En revanche, dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme serait tenté de recourir à une polygamie de fait, mais illicite. »
Tout le raisonnement s’articule autour du concept d’« injustice », qui n’est pas vraiment défini, et qui renvoie a priori simplement à la notion de traitement égalitaire de toutes les épouses. D’ailleurs, si Allah avait voulu abolir la polygamie, ce n’était pas très compliqué : il suffisait de l’énoncer clairement. Pourquoi ne pas être en mesure de traiter ses différentes femmes avec égalité ? On ne sait pas bien. Mahomet avait bien neuf femmes en même temps : c’est donc que c’est possible, et bien au-delà des 4 femmes autorisées (sans parler des éventuelles concubines), règle dont il n’avait que faire. On dira que c’était le Prophète, et alors ? D’ailleurs sa préférence pour Aïcha est bien connue : nul doute que cette préférence ait eu de l’importance dans l’ardeur sexuelle dont Mahomet honorait ses différentes épouses.
Mais ce qui est le plus étrange dans ce texte, et le plus surprenant, est la conclusion de ce paragraphe : « dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme serait tenté de recourir à une polygamie de fait, mais illicite ». On nous explique donc finalement, et le plus sérieusement du monde, que le véritable argument s’opposant à une potentielle interdiction formelle – donc au demeurant reconnue possible doctrinalement – est le risque de pousser les hommes à la polygamie si on l’interdit de fait ! Et en plus une polygamie illicite ! Mais on vient de nous expliquer que la polygamie est légalement quasi-impossible : pourquoi alors cela pose-t-il un problème de supprimer la possibilité de quelque chose qui n’arrive pas quasiment jamais ? Et si on ne l’interdit pas, l’homme n’est pas alors tenté par la polygamie ? Ce raisonnement est tellement absurde qu’on en reste coi ! Bref, tout ça pour ça…
- Conclusion
Malheureusement, les progrès du monde musulman au regard du statut de la femme sont extrêmement lents car ils génèrent des contradictions immédiates avec les textes sacrés de l’islam et qui ne peuvent être dépassées que par des numéros de haute voltige dialectique destinés à dépasser ces textes sacrés tout en les « préservant », c’est-à-dire en évitant de les renier. Seule la Tunisie a osé abolir de façon formelle la polygamie au niveau de l’État sans tenter de justifier doctrinalement car elle sait que c’est impossible : il est donc normal qu’elle soit la cible privilégiée, d’un point de vue doctrinal ou terroriste, de tous les musulmans orthodoxes puisque cette abolition constitue de fait un blasphème contre les lois d’Allah.
Toute cette tradition culturelle est malheureusement fortement ancrée dans les esprits des musulmans comme le souligne Omero Marongiu-Perria dans le 2ème volet de l’émission de France 2 de février 2015 consacré à la chari’a : « Nous avons parlé de la réforme de la Moudawana au Maroc, c’est-à-dire du statut du droit personnel, la réforme du droit matrimonial, etc., car nous ne sommes plus dans une société où les rapports de genre devaient être fondés sur la domination du mâle ou du masculin sur le féminin. Simplement, la limite de la réforme de la Moudawana au Maroc a été celle-ci : on ne peut pas changer les mentalités uniquement à coups de lois, et aujourd’hui la société marocaine vit quand même une certaine crise car la loi n’a pas pu réformer toutes les mentalités. Donc cela doit s’accompagner d’une véritable politique publique d’éducation et là on peut également porter un regard critique sur ces aspects dans un certain nombre d’États. »
France 2 Islam La charia (2) Fevrier 2015 mentalites
L’islam est donc loin d’en avoir fini avec la polygamie, droit religieux qu’il est impossible de dénier aux musulmans vivant dans les pays occidentaux.