Betty Lachgar : « Au Maroc, nous sommes condamnés à être des musulmans toute notre vie »

Article du Point. Modifié le 25/09/2019 à 11:08 – Publié le 24/09/2019 à 17:43 | Le Point.fr

Par Thomas Mahler

Dix ans après un retentissant pique-nique en plein ramadan en compagnie de Zineb El Rhazoui, la militante féministe et universaliste revient sur ses luttes.

Il y a tout juste dix ans, en plein ramadan, deux militantes marocaines du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali) organisaient un pique-nique dans la forêt de Mohammadia, à mi-chemin entre Casablanca et Rabat. Dans leur sac, des baguettes et une boîte de Vache qui rit. L’initiative fit scandale dans un pays où l’article 222 du Code pénal prévoit entre un et six mois de prison pour ceux qui rompent « ostensiblement le jeûne dans un lieu public ». L’une des pique-niqueuses se nomme Zineb El Rhazoui et rejoindra bientôt Charlie Hebdo. L’autre est la psychologue Ibtissame Lachgar, dite « Betty », qui continue aujourd’hui avec le Mali à mener des actions coups de poing au Maroc. Dans un long entretien, nous revenons sur le parcours et les engagements de cette inlassable combattante pour les libertés.

Le Point : Comment êtes-vous devenue une militante des droits de l’homme ?

Betty Lachgar : J’ai grandi à Rabat jusqu’à mon bac. Puis j’ai fait des études de psychologie clinique, criminologie et victimologie à Paris. Mon père, ingénieur, était un militant politique en opposition au régime, ce qui m’a beaucoup influencé. Ma mère était prof de français. Je viens d’une famille « laïque », où la religion relevait d’une affaire personnelle. J’ai d’ailleurs été à l’école française puis au lycée français. C’était un choix de mes parents en raison de la laïcité justement.

Le Maroc étant une dictature, l’école publique y est non seulement religieuse, c’est-à-dire que l’éducation islamique y est obligatoire, mais l’école caresse aussi le régime dans le sens du poil. Je n’ai jamais fait le ramadan, car je ne me suis jamais sentie concernée par la religion musulmane comme je n’ai jamais ressenti de culpabilité à manger du porc ou à consommer de l’alcool plus tard. Dès l’adolescence, j’ai commencé à me poser des questions sur les religions, et notamment sur leur misogynie. Nous sommes trois filles dans ma famille ; s’il n’y a pas de garçon, par exemple, l’héritage ira en partie à nos oncles et cousins. Forcément, notre père a dû nous expliquer ça. Ces inégalités et ces discriminations, particulièrement contre les femmes, m’ont ainsi petit à petit poussée à rejeter les religions en général et l’islam en particulier. J’ai aussi appris très jeune qu’un enfant né hors mariage était un bâtard, littéralement un « fils de pute ». J’ai vu que les femmes et les enfants étaient les premières victimes de tout ça. J’étais ce qu’on appelait un « garçon manqué ». Je trouvais déjà cette expression bien tordue.

Je ne savais pas ce qu’était le féminisme ou ce qu’étaient les stéréotypes, mais j’étais déjà en train de revendiquer des choses au niveau du sexisme ou de la notion du blasphème. On dit « Allah est le plus grand » ? Je disais « Allah est le plus petit » tout en courant dans le couloir de l’appartement. Mais à l’époque, l’islam n’avait pas la place qu’il a aujourd’hui au Maroc. On ne se demandait pas qui jeûnait ou pas, on ne mesurait pas le degré de religiosité. Dans les années 1990, on a vu l’évolution…

À 20 ans, alors que vous étudiez à Paris, on vous diagnostique un cancer, un sarcome d’Ewing…

C’est génétique, c’est la translation de deux chromosomes qui causent un cancer de l’os particulier. À ce moment-là, tout a basculé. Bien sûr qu’il y avait un terrain préalable à mon militantisme. Mais ce cancer a réveillé en moi toute cette colère, cette rage et cette indignation. Puis, quand j’étais en thèse, mon père est tombé malade et j’ai multiplié les allers-retours entre la France et le Maroc. On a commencé à parler de son passé, de ses engagements et de son arrestation. Je lui ai dit que je trouvais étrange que les libertés individuelles, qui sont des droits fondamentaux, soient reléguées au second plan…

Comment rencontrez-vous Zineb El Rhazoui, avec qui vous avez fondé le Mali ?

Zineb, je l’ai connue à Paris, elle était en fac avec ma sœur. En se croisant en soirée, on parlait plus de droits et de libertés que d’histoires du quotidien. On a repris contact sur Facebook alors qu’elle était revenue au Maroc et que mon père venait de décéder. J’ai dit : « Il faut faire quelque chose ! » Elle était à Casablanca et moi à Rabat. Je suis allée la voir, et alors que je devais reprendre mon train, on s’est parlé pendant des heures. Zineb était journaliste dans un média indépendant et était déjà dans le collimateur du régime. Je suis restée chez elle toute la nuit. On s’est dit : « Balançons un truc sur Facebook. » Il se trouve que c’était le ramadan.

On a créé le groupe Mali dans un esprit de mouvement de désobéissance civile, et on s’est dit que personne ne parlait de l’article 222 du Code pénal qui punit de prison ferme les dé-jeûneurs pendant le mois de ramadan. On ne voulait pas faire comme les autres, à savoir multiplier des réunions, des conférences, des marches et des rapports qui finissent dans un tiroir. On voulait une action de terrain. On a réfléchi à une action pacifiste de désobéissance. Zineb m’a dit : « Puisqu’on nous interdit de manger, il faut faire un pique-nique symbolique ! » Ça nous a menées à une polémique internationale. On a eu tout le monde contre nous au Maroc, où presque, les partis politiques comme les associations. Mais c’est notre fierté. Cela fait dix ans qu’on a fait ce pique-nique, mais depuis quelques années au Maroc, la société civile s’est approprié cette question. Et tant mieux. La société et les médias évoquent désormais ces thématiques de laïcité, de liberté de conscience et d’article 222. Ouvrir le débat est une victoire.

Et tant que mouvement féministe, universaliste et laïque, nous pensons que les droits humains n’ont ni frontières ni religion

Avec le Mali, vous avez multiplié les happenings : kissing dans l’espace public, bateau de l’avortement, coloriage en rouge des fontaines de Rabat, collages de serviettes hygiéniques sur la façade du ministère de la Santé…

Contre les violences machistes et pour les droits sexuels et reproductifs notamment, oui. La dépénalisation des relations sexuelles hors mariage et de l’homosexualité. L’avortement est interdit au Maroc. Je risque dix ans de prison pour, à visage découvert, accompagner et aider les femmes à avorter. Il y a un seul article, l’article 453, qui dispose que l’avortement est possible si la santé de la femme enceinte est en danger. Mais avec l’autorisation du mari ! Et n’est prise en compte que la santé physique. L’association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin veut l’étendre à la santé mentale. Mais elle n’est du coup pas favorable à la dépénalisation totale. Et tant que mouvement féministe, universaliste et laïc, nous pensons nous que les droits humains n’ont ni frontières ni religion. En tant que mouvement pro-choix, la lutte en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps est essentielle. Les associations plus jeunes par exemple sont hélas intersectionnelles, plus dans le relativisme interculturel, dans la lutte décoloniale…

Mais les actions coup de poing sont-elles une bonne méthode ?

On joue sur le buzz, c’est une réalité. Sur le pouvoir médiatique. On veut alerter l’opinion publique dans son ensemble sur des sujets sensibles et tabous. Ce n’est pas en organisant des tables rondes ou en faisant des petits rassemblements devant le Parlement – et en général c’est toujours l’élite convaincue qui est présente – qu’on fait avancer les choses. Ou alors à petits pas. Quand il y a un buzz, tout le Maroc est au courant. On en parle en famille, au bureau, au hammam. C’est ça que nous voulons ! Même si cela génère de la haine, c’est quand même une victoire. Cela veut dire qu’on a mis le doigt sur quelque chose qui fait mal et qui dérange, et le choc des consciences est un moteur pour espérer un changement des mentalités.

Je trouve formidable que Zineb ne courbe pas l’échine face aux personnes qui la qualifient de « raciste » ou « d’islamophobe »

Comment jugez-vous le parcours de votre amie Zineb El Rhazoui, devenue en France l’une des figures de proue de la lutte contre les islamistes ?

J’adhère à tout ce qu’elle fait. J’admire son courage et son audace. C’est ce qui nous a unies. Pourtant, les menaces et les intimidations sont réelles. Vu la notoriété qu’elle a maintenant en France, je trouve formidable que Zineb ne courbe pas l’échine face aux personnes qui la qualifient de « raciste » ou « d’islamophobe ». Ce qui est inquiétant, c’est que maintenant, même au Maroc, il y a ces discours décoloniaux qui touchent la majorité des associations. Même certaines associations féministes nous accusent parfois de faire du militantisme « occidental ». Surtout par rapport à notre positionnement contre le voilement des femmes. Nous sommes universalistes et laïques.

Après, par rapport à Zineb, je suis une féministe radicale. C’est un terme qui fait extrémiste en langue française, mais le terme est différent en arabe, parce que radical, c’est simplement aller à la racine. Sur la question de la langue, par exemple, nous différons avec Zineb. Pour moi, une langue sexiste structure la pensée. Je ne suis ainsi pas contre l’écriture inclusive, tout en utilisant un langage épicène [dont la forme ne varie pas selon le genre, NDLR]. J’utilise aussi le terme « féminicide, » là où Zineb pense que cela se limite à certains cas, quand par exemple on tue des petites filles en Inde du fait de leur sexe. Ce n’est pas un jugement, mais je diffère aussi de Zineb quand elle accepte de se rendre dans des événements où est conviée l’extrême droite, ou quand elle se fait éditer par Ring. Mais contrairement à d’autres féministes, si je soutiens la notion de « féminicide » ou d’écriture inclusive, je me bats aussi contre le voilement des filles et des femmes. C’est le symbole d’oppression le plus visible. Et je ne le considère pas comme un libre choix. Pour moi, comme je l’ai dit auparavant, toutes les religions sont misogynes. La mode est de dire « vous êtes islamophobes », alors que quand je dénonce d’autres religions, comme sur les voilées du judaïsme orthodoxe, cela passe inaperçu. Je critique des dogmes. J’ai ce droit, je le prends. L’islam est une idéologie. Je ne vise pas des personnes.

Comment voyez-vous les féministes françaises ?

Il y a un combat rude entre le féminisme universaliste laïc et le féminisme intersectionnel. Moi, ça me hérisse le poil de voir qu’on veut faire de l’essentialisme et du différentialisme. Les droits humains – et ceux des femmes en particulier –, je le répète, ne connaissent ou plus exactement ne devraient connaître ni religion, ni frontières, ni nationalité, ni couleur de peau. On ne peut pas, sous couvert de relativisme culturel, accepter l’inacceptable. C’est quelque chose qui me dépasse.

Mohammed VI fête les vingt ans de son règne. Qu’en pensez-vous ?

Le Maroc est une dictature religieuse. C’est un fait. C’est une monarchie absolue de droit divin. Il n’existe pas de liberté de conscience. On nous dit que le pays ne serait pas prêt pour une « démocratie ». Ça, c’est l’argument culturel par excellence. Cela veut-il donc dire que les « bougnoules » et les Noirs, tous les pays du Sud, sont trop bêtes pour la démocratie ? Pour les vingt ans du règne de Mohammed VI, beaucoup de médias marocains ont affirmé que le roi est féministe, qu’il lutte ardemment contre la misogynie. Ce sont des médias pro-régime en général. Mais qu’est-ce qui a changé ? Le nouveau Code de la famille de 2004, c’est un leurre. Et il commence à prendre la poussière. Depuis, rien n’a été fait. Vous avez un « commandeur des croyants » à la tête du pays, plus un gouvernement islamiste.

Bassima Hakkaoui, la « ministre de l’Égalité » issue du Parti de la justice et du développement (PJD), est une grande misogyne. Sa loi sur la lutte contre la violence faite aux femmes ne tient pas compte des viols conjugaux, car la femme, l’épouse donc, serait là pour assouvir les soi-disant pulsions du mari. Rien n’a donc évolué ! On cite souvent l’article 19 de la Constitution de 2011, qui promeut l’égalité entre les femmes et les hommes. Très bien. Mais à la seconde partie de l’article, on lit : « Tout en respectant les constantes et les lois de la nation. » La première constante du Maroc étant l’islam, cet article s’annule de facto. Mais les féministes d’État ne mentionnent jamais la seconde partie de l’article. Il n’y aura jamais d’égalité dans ce contexte. Le PJD le dit clairement sur la question de l’héritage et sur la liberté sexuelle des femmes, sachant que celle des hommes, elle, se porte très bien.

Au Maroc, nous sommes condamnés à être des musulmans toute notre vie.

Certains disent que la monarchie est un rempart contre les islamistes…

Entre la peste et le choléra, je ne sais pas. Le roi n’est-il pas, par sa position, le premier islamiste du pays ? N’a-t-il pas le choix ? On ne sait pas ce qu’il pense personnellement, mais la religion comme la monarchie sont intouchables. Je ne fais pas de politique politicienne, mais je reste convaincue que si la société civile continue à caresser dans le sens du poil le régime comme les islamistes, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. À chaque fois qu’il y a des associations ou des artistes qui parlent des libertés ou des droits des femmes, que ce soit sur l’avortement ou sur l’héritage, on se réfère toujours aux religieux. « Que disent les textes ? » « Qu’en pensent les imams ? » Ou alors ils feignent d’ignorer le poids du religieux sur ces questions. Pour moi, cela conforte cette domination masculine qui contrôle la sexualité et le corps des femmes. Les personnes laïques sont isolées. Nous parlons de droits. Je m’en fous de la religion et de l’interprétation des textes ! Nous, les progressistes, ne devrions pas faire de concessions aux religieux. Car pendant ce temps-là, le camp adverse, lui, avance sans scrupule. Les islamistes font un super boulot de propagande et d’endoctrinement. Jamais ils ne disent : « Attention, on pourrait heurter les laïcs et les mécréants. » Non, ils disent que nous, les progressistes, sommes des agents du sionisme, de l’Occident, de la franc-maçonnerie, et que nous voulons semer le chaos.

Êtes-vous optimiste ?

Non. La liberté de conscience, avec la laïcité, est le pilier de toutes nos luttes. Mais, au Maroc, nous sommes condamnés à être des musulmans toute notre vie. Dès la naissance. Les lois qui s’appliquent à nous (comme le programme du système scolaire dont je parlais au départ) ne laissent aucun libre arbitre, aucun libre choix. Il y a plus d’espoir du côté de la Tunisie, où beaucoup se revendiquent laïcs. Pour revenir à la symbolique du mois du ramadan, là-bas, des rassemblements sont organisés pour revendiquer leur liberté de ne pas pratiquer le jeûne. Au Maroc, ce n’est pas possible. C’est très, très compliqué. Mais, quitte à me contredire, je suis optimiste aussi, sinon j’aurais cessé la lutte. Des centaines de Marocaines viennent d’ailleurs de publier un manifeste pour défendre la liberté sexuelle.

Adil El Miloudi : un digne représentant de l’islam !

On a tort de se moquer trop rapidement du chanteur marocain Adil El Miloudi quand il dit « Pour être un homme, il faut frapper sa femme ».

Rappelons en effet ce verset du Coran aux âmes prudes qui adorent le politiquement correct et qui poussent des cris d’orfraie dès qu’on ose critiquer l’islam :

Coran, sourate 4, verset 34 : « Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leur biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes à leur mari, et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leur époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous [musulmans] craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leur lit et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes haut et grand ! »

NB : traduction du Coran de Muhammad Hamidullah aux éditions Al Biruni : version recommandée par la librairie se trouvant devant l’entrée de la Grande mosquée de Paris.

« Au Maroc, la pseudoscience au service de la bêtise la plus crasse »

Un « homme de religion » a expliqué en toute impunité, sur une radio privée, que le cancer du col de l’utérus était une conséquence de… l’adultère.

Article du Point, par Tahar Ben Jelloun, publié le  | Le Point.fr

http://www.lepoint.fr/invites-du-point/tahar-ben-jelloun/ben-jelloun-au-maroc-la-pseudoscience-au-service-de-la-betise-la-plus-crasse-27-01-2018-2190068_1921.php#xtmc=tahar-ben-jelloun&xtnp=1&xtcr=1

« Enfin une grande découverte, un grand pas pour la médecine. On sait à présent ce qui provoque le cancer de l’utérus et du col de l’utérus : l’adultère ! Enfin, pour être précis, le non-respect pour une veuve musulmane de la pause de quatre mois et dix jours avant d’avoir de nouvelles relations sexuelles avec un homme. Le site d’info marocain le 360.ma nous apprend dans un article stupéfiant comment un « homme de religion », bénéficiant apparemment d’une grande audience, raconte n’importe quoi et le justifie par une lecture débile du Coran.

Cet homme anime une émission sur une chaîne de radio privée au Maroc, Chada FM. Il s’appelle Abderrahmane Sekkache. Il était à l’antenne le 19 janvier 2018 entre 10 heures et 12 h 15. Écoutons-le : lorsqu’une femme a sa première relation sexuelle, le sperme de son mari s’inscrit dans son vagin et son utérus. L’utérus inscrit alors dans le vagin le code de ce premier sperme. Ce code lui interdit un sperme venant d’un autre homme. Si la femme en reçoit un, elle déclenche par là même un cancer de l’utérus ou du col de l’utérus. C’est pour cela que l’islam a instauré une période de « idda » (abstinence) de 4 mois et 10 jours après le veuvage. CQFD !

Ignares

Le religieux prétend que c’est une découverte de scientifiques occidentaux, dont il ne donne ni les noms ni le pays d’origine. Indignée, scandalisée par le fait que de telles bêtises puissent être librement diffusées sur une radio privée, la sociologue marocaine Naâmane Guessous, auteure d’une étude importante sur la sexualité au Maroc, a alerté le ministre des Habous (biens religieux). Avec quelques recherches, on apprend que ce M. Sekkache est un prêcheur des plus intégristes, exigeant de la femme de porter le niqab (le voile intégral) et autres comportements absurdes. Ce dont il parle est un islam radicalisé et détourné. Il n’interprète pas, il invente. Il ment.

La sociologue conclut son appel : « Est-il normal que le Maroc du XXIe siècle, ayant de si grandes ambitions pour se moderniser, éduquer sa population et lutter contre l’obscurantisme religieux, permette encore ce genre d’idioties ? […] Est-il acceptable que des responsables de chaînes de radio donnent l’antenne à des fkihs [sorciers, NDLR] aussi ignares pour informer et orienter notre population ? »

Si on croit cet ignare qui s’adresse à un public qui n’a pas les moyens de vérifier ce qu’il avance, il faudrait demander des comptes aux femmes atteintes du cancer de l’utérus sur leur comportement moral. Tu as le cancer de l’utérus, donc tu as fauté. Le tour (sinistre) est joué.

Désespérant

Les gens considèrent dans leur majorité que la radio ne peut mentir ni se tromper. Difficile de rectifier ces stupidités et de les dénoncer. Il y a la Haca, l’instance des sages qui contrôle les contenus des programmes des médias audiovisuels (sorte de CSA marocaine), mais, apparemment, elle n’a pas encore réagi. M. Sekkache continue de déblatérer tranquillement sur les ondes de cette radio. Même si le roi a demandé que le discours religieux soit serein et juste, même si l’Éducation nationale est en train de réviser les manuels scolaires, ce genre de discours faits de mensonges grossiers et de démagogie est assez répandu.

Éliminer les fake news s’avère être un vaste programme désespérant. Mieux vaut en rire pour mieux les dénoncer en attendant que les autorités ainsi que les responsables de cette radio l’empêchent de poursuivre ses délires qui trouvent, hélas, un certain écho.

J’accuse

Tribune du 21 août 2017 H24 avec Le Figaro.

Tribune. Viol collectif dans un bus: le « J’accuse » de Mohammed Ennaji

Révolté, l’écrivain et philosophe Mohammed Ennaji* « accuse » tous ceux qui, de près ou de loin, sont derrière le viol collectif abject dont a été victime une jeune fille dans un bus à Casablanca.

Mohammed Ennaji est sociologue, historien et écrivain. Professeur à l’université Mohammed V de Rabat, il est notamment l’auteur du « Fils du prophète » et du « Le sujet et le mamelouk ».

« J’accuse

Oui, ce mot porte la signature d’un grand, oui ce mot ne m’appartient pas, mais il est le seul qui convient ici, il est le seul qui exprime ma révolte devant les images horribles d’un viol collectif, social oserai-je dire, et l’adjectif n’est pas à la mesure du crime en question. Voilà qu’à présent on viole nos filles en public, devant la caméra, sans crainte de personne, sans crainte de jugement, je ne parle pas de pudeur parce qu’elle n’appartient pas au dictionnaire de ces assassins.

Violer dans le bus une fille. Fêter ce viol comme une action héroïque, voilà où nous en sommes. Nous fabriquons aujourd’hui des assassins et des criminels en série. Nous ne formons plus des jeunes pour défier l’avenir, non nous fabriquons des assassins, des terroristes, des criminels.

J’accuse tous ceux qui sont derrière ces faits, directement ou indirectement. J’accuse le pouvoir qui a quasiment fermé l’école pour ouvrir des commissariats et des prisons, des bordels et des aires en plein air pour drogués. J’accuse les islamistes qui doivent aujourd’hui prendre leurs responsabilités devant l’image qu’ils donnent de la femme, devant la caricature qu’ils en colportent, j’accuse tous ces portails qui louent les houris, tous ces portails qui dénoncent les bikinis, tous ces portails qui fêtent la polygamie. Ils sont directement responsables et doivent être autoritairement fermés. Le démon c’est vous qui incriminez les femmes, le diable ce n’est pas la femme c’est vous qui invectivez et distribuez la haine à grande échelle.

Que chacun prenne ses responsabilités, que la police fasse son travail au lieu de réprimer des manifestants pacifiques. Demain si nous nous taisons, nos filles seront violées devant nous parce que nous nous serons tus. Demain est un horizon noir pour ce pays qui devient une fabrique de la haine à grande échelle. Le pouvoir porte la part la plus grande de responsabilité lui qui se réfugie dans le silence et la compromission, lui qui n’écoute pas la douleur d’une société qui va à la dérive.

Je l’accuse à voix haute, je l’accuse au nom de mon pays !»

Hassan II, commandeur des croyants, était-il islamophobe ?

Hassan II, homme d’État particulièrement lucide, nous rappelle quelques évidences musulmanes.

L’intégration des musulmans (marocains) dans l’Europe chrétienne est impossible.

Hassan II Integration

Hassan II Integration

Un musulman ne peut pas être laïc.

Hassan II Laicite

Hassan II Laicite

Les mariages entre musulmans et non-musulmans sont à déconseiller car voués à l’échec.

Hassan II Mariage mixte

Hassan II Mariage mixte

La polygamie dans la Moudawana marocaine : un numéro de haute voltige

Le Maroc a connu en 2004 une évolution importante de son droit au travers de la réforme du Code de statut personnel, ce qui a touché le code de la famille. Cette évolution tout à fait louable a visé à moderniser la société musulmane, notamment sur deux points qui vont nous intéresser ici : la prééminence de l’homme sur la femme et surtout la polygamie.

Ainsi, dans l’émission de France 2 « l’islam » de mars 2014 au mariage et au divorce, Omero Marongiu-Perria indique ainsi concernant le Maroc : « L’évolution du droit de la famille marocain est illustratif des grandes questions que se posent les jurisconsultes et les autorités aussi des pays d’islam : c’est que nous sommes dans un pays qui, historiquement est de droit malikite [ndlr l’école musulmane malikite est suivie par les pays d’Afrique du Nord], et par un débat de société, avec les référents religieux comme partie prenante, ils ont été capables de puiser dans les autres écoles juridiques musulmanes des avis, parfois considérés comme minoritaires à l’époque, mais qui étaient parfaitement fondés au plan du droit musulman, pour justement faire une avancée sociétale consistant à dire que désormais il n’y a plus de hiérarchie entre l’homme et la femme dans le couple – donc ils ont supprimé la notion de chef de famille –, ils ont restreint les possibilités de polygamie à des cas très exceptionnels, et ils ont permis un investissement social de la femme pour qu’elle soit complètement reconnue dans les sphères de la vie sociale. Et c’est une avancée majeure ici. »

France 2 Islam Mariage & Divorce mars 2014 Moudawana

Revenons sur ces deux points.

  • La prééminence de l’homme sur la femme

La prééminence de l’homme sur la femme est clairement exprimée dans le Coran (cf. prééminence). Dans l’émission précitée, un reportage commente : « Il ne faut jamais l’oublier : dans le monde arabe, la question identitaire est fortement cristallisée autour de la question féminine. Et donc quand on a demandé à ces hommes : « écrivez ce que vous voulez des relations entre hommes et femmes », ils n’ont écrit que ce qui existait depuis des siècles. Ils n’ont pas regardé autour d’eux ce qui se passait. La montée en puissance des femmes dans le monde du travail n’avait pas encore eu de répercussion sur le plan de leurs droits personnels. L’innovation qu’il y a eu dans cette moudawana, dans ce Code du statut personnel [ndlr Maroc], c’est qu’il y a eu une relecture des textes à partir justement d’une perspective féminine. L’interprétation patriarcale, et je dirais machiste, de l’islam a fait qu’il y a eu toujours la répudiation et que le divorce était un droit de l’homme. Or on a remarqué que le divorce était un droit de la femme et de l’homme, qu’aussi bien la femme que l’homme pouvait l’utiliser, et ça avec des versets coraniques à l’appui. Le Maroc rejoint ainsi la Tunisie, largement en avance sur le plan du droit, dès 1958, et avant-gardiste sur le plan du statut de la femme. Mais c’est un combat sans fin. Le principe d’égalité entre hommes et femmes vient cependant d’être réaffirmé dans la nouvelle constitution tunisienne, votée en janvier dernier [ndlr janvier 2015]. »

France 2 Islam Mariage & Divorce mars 2014 Question des femmes

Si on ne peut que louer cette évolution qui prend la Tunisie comme modèle, pays « largement en avance sur le plan du droit », il ne faut sans doute pas s’étonner des propos relativement pessimistes du commentateur : « C’est un combat sans fin » dans le contexte de la culture musulmane.

  • La polygamie

S’agissant de la polygamie, le Maroc tente avec raison d’en abolir la pratique à défaut d’être en mesure d’en abolir le principe puisqu’il ne peut pas être retiré du Coran : c’est une possibilité que le Coran offre et qui est incontestable. Une attitude plus audacieuse est celle de la Tunisie, qui a aboli la polygamie au niveau de l’État, mais sans tenter de justifier cette abolition. Pour le Maroc, tout l’exercice semble consister à tenter de démontrer, pour ne pas désavouer totalement le Coran, que la polygamie est « quasiment impossible ».

Lisons le préambule du Dahir n°1-04-22 du 3 février 2004 promulguant la loi n°70-03 portant code de la famille marocain : « 4. S’agissant de la polygamie, Nous avons veillé à ce qu’il soit tenu compte des desseins de l’Islam tolérant qui est attaché à la notion de justice, à telle enseigne que le Tout-Puissant a assorti la possibilité de polygamie d’une série de restrictions sévères : « Si vous craignez d’être injustes, n’en épousez qu’une seule ». Mais le Très-Haut a écarté l’hypothèse d’une parfaite équité, en disant en substance : « Vous ne pouvez traiter toutes vos femmes avec égalité, quand bien même vous y tiendriez » ; ce qui rend la polygamie légalement quasi-impossible. De même, avons–Nous gardé à l’esprit cette sagesse remarquable de l’Islam qui autorise l’homme à prendre une seconde épouse, en toute légalité, pour des raisons de force majeure, selon des critères stricts draconiens, et avec, en outre, l’autorisation du juge. En revanche, dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme serait tenté de recourir à une polygamie de fait, mais illicite. »

Tout le raisonnement s’articule autour du concept d’« injustice », qui n’est pas vraiment défini, et qui renvoie a priori simplement à la notion de traitement égalitaire de toutes les épouses. D’ailleurs, si Allah avait voulu abolir la polygamie, ce n’était pas très compliqué : il suffisait de l’énoncer clairement. Pourquoi ne pas être en mesure de traiter ses différentes femmes avec égalité ? On ne sait pas bien. Mahomet avait bien neuf femmes en même temps : c’est donc que c’est possible, et bien au-delà des 4 femmes autorisées (sans parler des éventuelles concubines), règle dont il n’avait que faire. On dira que c’était le Prophète, et alors ? D’ailleurs sa préférence pour Aïcha est bien connue : nul doute que cette préférence ait eu de l’importance dans l’ardeur sexuelle dont Mahomet honorait ses différentes épouses.

Mais ce qui est le plus étrange dans ce texte, et le plus surprenant, est la conclusion de ce paragraphe : « dans l’hypothèse d’une interdiction formelle de la polygamie, l’homme serait tenté de recourir à une polygamie de fait, mais illicite ». On nous explique donc finalement, et le plus sérieusement du monde, que le véritable argument s’opposant à une potentielle interdiction formelle – donc au demeurant reconnue possible doctrinalement – est le risque de pousser les hommes à la polygamie si on l’interdit de fait ! Et en plus une polygamie illicite ! Mais on vient de nous expliquer que la polygamie est légalement quasi-impossible : pourquoi alors cela pose-t-il un problème de supprimer la possibilité de quelque chose qui n’arrive pas quasiment jamais ? Et si on ne l’interdit pas, l’homme n’est pas alors tenté par la polygamie ? Ce raisonnement est tellement absurde qu’on en reste coi ! Bref, tout ça pour ça…

  • Conclusion

Malheureusement, les progrès du monde musulman au regard du statut de la femme sont extrêmement lents car ils génèrent des contradictions immédiates avec les textes sacrés de l’islam et qui ne peuvent être dépassées que par des numéros de haute voltige dialectique destinés à dépasser ces textes sacrés tout en les « préservant », c’est-à-dire en évitant de les renier. Seule la Tunisie a osé abolir de façon formelle la polygamie au niveau de l’État sans tenter de justifier doctrinalement car elle sait que c’est impossible : il est donc normal qu’elle soit la cible privilégiée, d’un point de vue doctrinal ou terroriste, de tous les musulmans orthodoxes puisque cette abolition constitue de fait un blasphème contre les lois d’Allah.

Toute cette tradition culturelle est malheureusement fortement ancrée dans les esprits des musulmans comme le souligne Omero Marongiu-Perria dans le 2ème volet de l’émission de France 2 de février 2015 consacré à la chari’a : « Nous avons parlé de la réforme de la Moudawana au Maroc, c’est-à-dire du statut du droit personnel, la réforme du droit matrimonial, etc., car nous ne sommes plus dans une société où les rapports de genre devaient être fondés sur la domination du mâle ou du masculin sur le féminin. Simplement, la limite de la réforme de la Moudawana au Maroc a été celle-ci : on ne peut pas changer les mentalités uniquement à coups de lois, et aujourd’hui la société marocaine vit quand même une certaine crise car la loi n’a pas pu réformer toutes les mentalités. Donc cela doit s’accompagner d’une véritable politique publique d’éducation et là on peut également porter un regard critique sur ces aspects dans un certain nombre d’États. »

France 2 Islam La charia (2) Fevrier 2015 mentalites

L’islam est donc loin d’en avoir fini avec la polygamie, droit religieux qu’il est impossible de dénier aux musulmans vivant dans les pays occidentaux.