Certaines biographies contemporaines de Mahomet et la plupart des commentateurs musulmans font état d’« horribles persécutions » commises dès l’époque de La Mecque à l’égard des musulmans pour mettre en avant les qualités de Mahomet dans une telle situation et surtout ensuite la légitimité à se défendre par l’épée, si nécessaire avec grande violence. Or, à lire la Sîra, une telle interprétation est une lecture erronée des faits par rapport aux images auxquelles certains termes renvoient dans l’imaginaire contemporain. Faisons le point.
- L’utilisation indélicate et à dessein d’un terme tout à fait connoté et trompeur
Que sous-entend le terme « persécution » ? La « persécution » est un « traitement injuste et cruel infligé avec acharnement » (Le Petit Robert).
En outre, il y a un oppresseur (ou plusieurs), de nombreuses victimes et un terrible châtiment pour elles (prison, sévices corporels, déplacement de population, exécutions, travaux forcés,…). Par exemple, quand les Romains ont persécuté les chrétiens, il les crucifiaient par milliers (comme sur la voie Appia) et leur infligeaient ainsi des souffrances atroces qui s’achevaient avec leur mort.
S’agit-il de cela lorsqu’on parle de Mahomet de ses partisans ? On en est très loin.
- Qu’a essayé de faire Mahomet à La Mecque ? Par sa prédication, Mahomet a en réalité « harcelé » les Quraychites
L’organisation de l’Arabie du VIIème siècle était structurée autour de tribus farouchement indépendantes qui concluaient entre elles au gré des circonstances des pactes d’alliance. Ces tribus polythéistes vénéraient des dieux ou des idoles et le centre religieux principal était à La Mecque : y était notamment vénéré le dieu Hubal, dieu de la Lune, dieu le plus important de La Mecque.
Mahomet, en prêchant une nouvelle religion, monothéiste, se proposait de casser l’organisation tribale, sociale et religieuse traditionnelle des tribus Quraychites, ce qu’elle ne pouvait voir que d’un mauvais œil ; et ce d’autant plus que Mahomet prétendait en même temps en devenir le chef puisqu’il fallait lui obéir.
Aussi, pourquoi croire cet individu qui se prétendait inspiré par Dieu plutôt qu’un autre illuminé, d’autant qu’il a toujours refusé de donner des signes de son élection par la réalisation de miracles ? Il n’y avait en effet aucune raison. Seule la sagesse de la religion qu’il prêchait aurait dû lui permettre de conquérir les cœurs : de ce point de vue-là, Mahomet a complètement échoué à La Mecque au regard de ses ambitions au terme d’une prédication de 12 ans (610-622).
- Quelle a été la réaction première des Quraychites ? De supporter les insultes de Mahomet et de proposer une conciliation !
Par un curieux renversement des faits, certains prétendent que ce sont les Quraychites qui ont harcelé, dénigré et insulté Mahomet, alors que c’est exactement l’inverse qui s’est produit au départ. Cela se comprend très bien puisque Mahomet a cherché à imposer sa nouvelle religion en décrédibilisant, insultant les anciennes coutumes et religions.
La Sîra est très claire sur le sujet : « Ils [ndlr les Quraychites] envoyèrent lui [ndlr Mahomet] dirent : « Les notables de ton peuple se sont réunis en vue de parler avec toi ; viens donc à eux. » L’envoyé d’Allah vint à eux rapidement pensant qu’ils avaient formé une opinion concernant ce qu’il leur avait dit ; en effet, ils tenaient absolument à leur bonheur, à ce qu’ils suivraient le droit chemin, et leur égarement lui faisait de la peine. Il s’assit avec eux. Alors ils lui dirent : « Ô Muhammad ! Nous t’avons envoyé chercher afin de parler avec toi. Par Dieu, nous ne connaissons pas quelqu’un qui avait introduit dans son peuple quelque chose de pareil à ce que tu viens d’introduire dans ton peuple ; tu as insulté les ancêtres, dénigré la religion, injurié les dieux, traité nos croyances de stupides, mis la discorde dans notre société, et il ne reste aucun mal que tu n’avais pas apporté entre nous et toi. Si, par cette affaire, tu veux obtenir de l’argent, nous amasserons pour toi de notre argent de quoi te rendre le plus riche parmi nous. Si par elle tu aspires à l’honneur parmi nous, nous te ferons notre seigneur. Si par-là tu veux devenir un roi, nous te ferons notre roi. Si celui qui vient à toi est un djinn que tu vois s’emparer de toi – ils appelaient le djinn – compagnon (ra’iyy), ce qui est probable, nous dépenserons de notre argent les frais du médecin jusqu’à ce que tu en sois guéri ; ou nous serons dégagés de tout reproche au sujet de ce que nous ferons avec toi. »
Donc, il s’avère que :
– Les Quraychites ont été insultés par Mahomet au travers du dénigrement de leur religion, de l’accusation de stupidité, etc. ;
– L’attitude de Mahomet constituait pour eux un affront inouï jamais vu de mémoire d’homme dans cette société tribale, qui aurait dû entraîner la mort immédiate de l’agresseur Mahomet ;
– En dépit de la violence inouïe de cet affront, les Quraychites ont fait preuve d’une grande clémence et patience (pendant plusieurs années) compte tenu de l’appartenance de Mahomet à un des clans les plus respectés de La Mecque et ont essayé de trouver un terrain d’entente, jusqu’à lui proposer de devenir très riche et même de devenir leur seigneur, dès lors qu’il ne persistait pas à remettre en cause l’organisation sociale et tribale traditionnelle ;
– Les Quraychites ont pu naturellement penser que Mahomet était probablement atteint de folie par l’entremise d’un djinn et se sont proposés de le soigner ;
– Mahomet a refusé la conciliation qui lui était proposée et n’a pas réussi à les convaincre par la seule force de son discours (ou des signes quelconques).
En conséquence de quoi, on voit que les Quraychites étaient dans une situation de légitime défense vis-à-vis de l’agresseur, Mahomet, et étaient parfaitement légitimes à en finir avec lui.
- Les Quraychites se défendent contre Mahomet et ses partisans
Les Quraychites auraient pu facilement s’en prendre à Mahomet, le responsable de l’agression, mais ils ne l’ont pas fait compte tenu des liens qu’il avait avec les clans respectés de La Mecque. Mahomet ne semble pas avoir lui-même été inquiété pendant au moins les 10 premières années de sa prédication à La Mecque, qui en a compté 12 ; il était certes raillé et moqué, mais il n’avait pas à craindre pour sa sécurité physique (cf article ).
Aussi les Quraychites se sont-ils défendus en luttant contre les quelques partisans de Mahomet pour faire pression sur eux et les amener à renier cette nouvelle religion. Évidemment, à l’époque on « faisait pression » de façon un peu moins policée qu’aujourd’hui : les mœurs étaient plus brutales. La violence faisait partie des mœurs tribales de l’Arabie. Les différends entre tribus et les razzias étaient fréquents. Rappelons aussi qu’il arrivait assez souvent que les filles soient enterrées vivantes à la naissance comme le rappelle le Coran. Les mœurs de l’époque n’étaient pas particulièrement douces ! « Lorsqu’on annonce à l’un d’eux une fille, son visage s’assombrit et une rage profonde l’envahit. Il se cache des gens, à cause du malheur qu’on lui a annoncé. Doit-il la garder malgré la honte ou l’enfouira-t-il dans la terre ? Combien est détestable leur jugement ! » (Coran, sourate 16, verset 58)
Le traitement infligé par les Quraychites à certains de ceux qui avaient embrassé l’islam et qui étaient les plus faibles (c’est-à-dire n’étaient pas sous la protection d’une tribu suffisamment puissante) pouvait être dur, sans pour autant être irréversible puisque l’objectif était de leur faire renier leur religion et pas de les tuer.
Une section de 4 pages de la Sîra est notamment consacrée aux pressions faites par les Quraychites sur les partisans de Mahomet et intitulée : « La persécution infligée par les polythéistes aux faibles qui ont embrassé l’islam ». Il s’agissait essentiellement de faire pression, notamment sur les plus faibles, pour les faire revenir à leurs anciennes croyances, par des coups, la privation de nourriture et d’eau, ou l’exposition au soleil. L’objectif était de les amener à renier leur conversion à l’islam, notamment en les faisant jurer par leurs anciennes idoles comme al-Zat et al-Uzza, ou en les obligeant à dire qu’un scarabée qui passait était leur dieu pour déconsidérer la croyance en l’islam.
La Sîra mentionne deux cas individuels : celui de Bîlal (un esclave, donc sans droit, dont le sort n’est donc pas représentatif – au demeurant, Abû Bakr le sortit des griffes des Quraychites en l’échangeant simplement contre un esclave noir plus fort et plus résistant que lui –) et celui d’Ammar ibn Yâsir.
La Sîra indique qu’Ammar ibn Yâsir, son père et sa mère étaient harcelés par les Banû Makhzûm qui les exposaient sur le sable brûlant de La Mecque. La mère mourut : la Sîra indique que la mère fut tuée, sans autre précision, mais, compte tenu des circonstances, il semble vraisemblable qu’elle mourut de son exposition prolongée au soleil. Il est intéressant de noter que Mahomet connaissait la situation de cette famille mais ne rechercha pas particulièrement à les protéger. La Sîra indique en effet que lorsque Mahomet passait à côté d’eux alors qu’ils étaient exposés, il leur disait : « Patience, famille Yâsir ! Le paradis vous est promis. »
La mort de la mère d’Ammar semble un cas isolé. Les Quraychites ne cherchaient pas à provoquer des violences graves et handicapantes, voire la mort, mais à obtenir l’apostasie des partisans de Mahomet, vraisemblablement pour déconsidérer encore plus la nouvelle religion qu’il prétendait leur imposer.
Il ne faut donc pas nier l’hostilité déclenchée, mais à juste titre, par Mahomet chez les Quraychites et certaines violences qu’ont pu connaître certains partisans de Mahomet, en particulier les plus faibles et ceux qui n’étaient pas affiliés à un clan suffisamment fort. Mais il était légitime que les Quraychites se défendissent contre l’agression qu’ils subissaient.
En outre, on peut penser que la Sîra, rédigée par un musulman du point de vue des musulmans, aurait certainement développé la description des persécutions commises sur les musulmans si leur ampleur l’avait justifié. Si les musulmans avaient par exemple subi un massacre de l’ampleur de celui, mentionné par la Sîra, des 20.000 chrétiens massacrés à Najrân (sud de la péninsule arabique) par les juifs conduits par Dû Nawas, il est probable que la Sîra n’aurait pas manqué de longuement le relater. Or rien de tel.
D’ailleurs, notons que Mahomet, ne pouvant pas placer sous la protection de son clan tous ses partisans, conseilla aux plus faibles et qui ne bénéficiaient pas de protection particulière d’émigrer en Éthiopie auprès du roi chrétien, le Négus, ce que fit un groupe de 83 musulmans. 33 revinrent d’ailleurs à La Mecque après quelque temps : si les partisans de Mahomet étaient réellement persécutés et craignaient vraiment pour leur vie, seraient-ils revenus ? Et Mahomet lui-même n’a jamais été violenté.
- La fuite à Médine (l’hégire, 622)
Au bout de douze années, il est assez normal que les Quraychites en aient eu un peu assez et aient fini par se dire que cet individu, Mahomet, pouvait peut-être devenir finalement un réel danger politique pour eux avec ses prétentions à les commander (la religion n’ayant finalement pas grand-chose à faire dans l’histoire). Qu’ils aient songé au bout du compte à s’en débarrasser physiquement, c’est fort possible et même assez normal. D’autant que dans l’Arabie tribale du VIIème siècle, cela ne soulevait pas de grandes questions morales vu les mœurs de l’époque. Mais si Mahomet avait été aussi en danger que cela, nul doute qu’il aurait fui bien plus tôt et surtout sans faire partir fuir tous ses partisans avant de fuir lui-même.
- Mahomet a été chassé injustement de La Mecque
Cet argument qui revient ad libitum dans la littérature musulmane (y compris dans le Coran), ne correspond donc pas à ce qu’on lit dans la Sîra. C’est un mensonge nécessaire à la justification du jihad.
Mahomet n’a pas été chassé : Mahomet a poussé à bout la patience des Quraychites en continuant à prêcher sa religion alors que celle-ci était infructueuse après 12 ans de prêche. Son entêtement l’a alors effectivement probablement mis en danger et il a donc décidé de fuir La Mecque pour s’établir à Médine.
Si Mahomet ne s’était pas entêté à vouloir imposer sa nouvelle religion aux Quraychites, en changeant au passage toute l’organisation tribale des tribus de La Mecque par ce nouveau rapport de pouvoir politique et religieux, il aurait pu continuer à vivre à La Mecque sans craindre aucunement pour sa vie : il n’a donc pas été « chassé » de La Mecque : il n’y a aucune injustice dans ce départ contrairement à ce que laisse entendre la littérature musulmane.
Cette situation est semblable à celle d’un fils qui vous dirait tous les jours pendant des années que vous devez changer vos croyances, votre mode de vie, que vous devez maintenant lui obéir parce qu’il a eu une illumination divine : n’y a-t-il pas un moment où vous perdriez patience ? Ne seriez-vous pas tenté, devenu excédé, par une bonne gifle pour lui remettre les idées en place ou de lui dire d’aller vivre aux crochets de quelqu’un d’autre s’il n’est pas content ? Et si votre fils dans cette situation décidait de prendre la poudre d’escampette, diriez-vous que vous l’avez « chassé » et qu’il est une victime ? Quand quelqu’un, de son propre fait, se met dans cette sorte de situation qui le conduit un jour au l’autre à partir de lui-même, est-il « chassé » (ou « banni ») ?
Ou imaginez que toutes les semaines pendant 12 ans vous ayez un témoin de Jéhovah qui vienne à votre porte vous expliquer que vous devez vous convertir à la religion qu’il prêche et que vous allez devoir lui obéir : comment réagiriez-vous ?
Il n’y a donc eu :
– ni traitement injuste, puisque la légitime défense des Quraychites est avérée ;
– ni traitement cruel, puisqu’il n’y avait pas de cruauté en tant que telle mais seulement des pressions physiques pour faire apostasier ;
– ni acharnement, les pressions sur les convertis cessant dès le retour à la religion antérieure.
Aussi, le terme de « persécution », tout à fait inapproprié, devrait être remplacé par celui de « harcèlement » moral et physique, et notamment s’agissant de Mahomet de « harcèlement moral » car les Quraychites n’ont pas manqué de critiquer vigoureusement ses prétentions et sa « mission », voire de le tourner en ridicule, lui qui se croyait envoyé par Dieu (jusqu’à penser qu’il fallait le faire soigner).
- Comment réagir face au révisionnisme musulman ?
La première chose à faire pour se faire votre propre idée est d’aller lire vous-même la biographie authentique de Mahomet. Le texte me semble clair sur l’étendue et la nature du harcèlement (justifié) subi par Mahomet et ses partisans. Cela vous permettra de vous constituer un argumentaire étayé et solide.
Malheureusement, cette question de la légitime défense originelle étant absolument cruciale pour l’islam – au risque de l’effondrement –, le débat rationnel et critique est généralement impossible, sauf avec quelques esprits éclairés et rares qui ne renient pas les faits et acceptent de « tourner la page » pour tenter de dégager de l’islam des messages de spiritualité non-violente pour la suite des temps (cf. article révisionnisme).
Aussi, si vous rencontrez des musulmans qui soutiennent cette théorie des horribles persécutions, inutile de discuter : demandez-leur les références précises des textes qui les décrivent dans la biographie de Mahomet (et n’oubliez pas de me les communiquer !). Peut-être cette lecture doit-elle être remise en cause, mais je ne vois pas sur quelle base.