Tariq Ramadan évoque en ces termes la dimension de l’éthique musulmane : « La méditation, de cœur, sur l’origine, le sens et les objectifs supérieurs des textes et des contextes de même que la formulation, en conscience, des limites éthiques à l’action humaine dans l’univers et vis-à-vis des hommes : ce sont ces attitudes qui fondent la dimension “islamique“ de l’approche scientifique et des choix éthiques. Il ne s’agit pas d’“islamiser superficiellement les sciences est les savoirs“, mais bien, essentiellement et profondément, d’établir une conscience islamique des finalités et une éthique islamique relative aux comportements humains et à l’usage qualitatif des savoirs. »
De façon moins philosophique, plus pratique et plus simple, l’ouvrage d’éthique recommandé aujourd’hui par la communauté musulmane à tous les musulmans de France dans l’émission de France 2 « Islam » du dimanche matin consacrée en mars 2015 à « L’amour et la miséricorde en islam » est l’ouvrage de Mohammad al-Ghazzali intitulé « L’éthique du musulman ».
L’ouvrage présente un certain nombre de réflexions sur des thèmes « classiques » : véracité, fidélité, sincérité, force, patience, etc.
Mais ce livre, présenté donc comme la référence éthique contemporaine pour les musulmans de France, interpelle fortement pour plusieurs raisons :
1) Les valeurs morales défendues par son auteur
Mohammad Al-Ghazali, théologien d’Al-Azhar, proche des Frères Musulmans, a en effet défendu devant la justice égyptienne, lors du procès relatif à l’assassinat de Farag Foda, (professeur égyptien, activiste des droits de l’homme), qu’il n’était pas condamnable mais même souhaitable de tuer un apostat. Sa déclaration fut la suivante : « Le meurtre de Farag Foda était en réalité la mise en œuvre de la punition d’un apostat que l’imam [ndlr la plus haute autorité musulmane d’Égypte] avait échoué à mettre en œuvre. » En effet, Farag Foda a été assassiné en juin 1992 par les musulmans sunnites du groupe Al-Gama’a al-Islamiyya, après avoir été accusé de blasphème par un groupe de théologiens d’Al-Azhar, dont Mohammad Al-Ghazali.
Que les représentants musulmans français recommandent donc un auteur explicitement favorable à l’assassinat des apostats pose une vraie question sur les valeurs des musulmans de France. D’autant que cet auteur considère que cette peine, pratiquée historiquement est toujours à l’ordre du jour aujourd’hui puisqu’il écrit dans l’Éthique de façon très claire : « Les enseignements de l’islam forment un tout indissociable et qu’on doit obligatoirement les appliquer en tout lieu et tout temps. »
2) La défense des châtiments corporels en tant qu’expression de la miséricorde divine
Mohammad Al-Ghazali défend par ailleurs vigoureusement les châtiments corporels. En effet, voici ce qu’il écrit spécifiquement dans l’Éthique sur les peines dites légales (al-houdoud), plus connues en Occident par le terme de « châtiments corporels » : « S’il s’avère à l’examen de l’état de cet individu que sa fitra [ndlr nature originelle] est pervertie, qu’il est devenu une source d’agression et de danger pour le milieu qui l’a hébergé et abrité, et qu’à sa bienveillance et ses soins il a répondu par la provocation et le trouble de la sécurité collective, alors ce milieu n’encourt aucun reproche en mettant fin à l’agression de l’un de ses membres et en brisant l’arme par laquelle il nuit à autrui. Le Coran a qualifié le vol, pour lequel on coupe la main, de vol injuste générateur de corruption en ajoutant au sujet du voleur puni : « Dieu reviendra sûrement à celui qui reviendra vers Lui après sa faute, et qui s’amendera. Dieu est Celui qui pardonne. Il est miséricordieux » (sourate La Table servie, verset 39). Donc la peine légale prescrite par l’islam est une prévention en faveur de la communauté juste et réformatrice contre l’agressivité d’un de ses membres, qui répond à son équité par l’injustice et à son réformisme par la corruption. (…) C’est pourquoi il n’y a aucune raison à fustiger les peines légales prescrites par l’islam, et admises déjà auparavant par la Thora, car elles sont considérées comme une prescription des Lois des religions célestes en général. »
Mohammad Al-Ghazali écrit également : « La miséricorde n’est pas une affection aveugle sans entendement, ni une pitié qui ignore la justice et l’ordre. Non. C’est un sentiment qui respect tous ces droits. Le spectacle du supplicié avec son corps suspendu dans l’air et ses yeux grands ouverts qui recherchent la lumière et demandent secours est un spectacle qui inspire la pitié. Pourtant, si l’on exauce ce sentiment éclair et qu’on libère le tueur, la terre sera remplie de désordre. C’est dire que la vraie miséricorde consiste ici à réprimer ce sentiment : « Il y a pour vous, une vie, dans le talion. Ô vous, les hommes doués d’intelligence ! Peut-être craindrez-vous Dieu ! » (sourate 2, verset 179) ». Pour lui donc, la pitié est un mauvais sentiment et il convient de le réprimer.
3) La conception de la miséricorde dans le contexte de la dichotomie musulmans/infidèles
En vérité, la miséricorde ne concerne que les musulmans entre eux. Mohammad Al-Ghazali écrit : « Dieu a décrit la société du musulman comme une société soudée par les liens d’affection que les uns vouent aux autres : « Ils seront humbles à l’égard des croyants ; fiers à l’égard des mécréants » (sourate la Table servie, verset 54), ils « sont sévères avec les impies, bons et compatissants entre eux [ndlr entre musulmans] » (sourate la victoire, verset 29). »
D’ailleurs le Conseil européen des fatwas écrit de nos jours : « La promesse de l’Enfer liée à tout mauvaise action commise par le musulman signifie non pas que celui-ci y demeurera éternellement comme c’est le cas pour les négateurs (kuffâr), mais qu’il y sera envoyé comme tout monothéiste ayant désobéi. »
Que reste-t-il alors de la miséricorde ? Mohammad Al-Ghazali écrit : « Tu te demanderas peut-être : Que signifie cette dureté évoquée dans le contexte d’un discours sur la miséricorde ? En vérité l’islam recommande la miséricorde générale sans excepter un homme, une bête ou un seul oiseau. Les textes cités précédemment attestent ce caractère global de la miséricorde. Mais, il y a des humains et des animaux qui constituent une source de danger et de frayeur pour autrui. Aussi, l’intérêt général de tout le groupe implique de juguler leur mal et de circonscrire leur nuisibilité. Or, la dureté peut être une forme de miséricorde envers eux tout en étant un moyen de corriger leur déficience. » En d’autres termes, la sévérité envers ceux qui nuisent à l’islam est un moyen de corriger leur nature et de les remettre dans le droit chemin et aboutit au vieux dicton : « L’enfer est pavé de bonnes intentions. »
Enfin pour terminer, revenons sur la conception de l’humain dans la religion d’amour et de paix. Mohammad Al-Ghazali écrit : « L’islam est un message de bien, de paix et de bonté pour tous les humains. Dieu n’a-t-il pas dit à son prophète : « Nous t’avons seulement envoyé comme une miséricorde pour les mondes. » (sourate les prophètes, verset 107). En plus, toutes les sourates du noble Coran s’ouvrent par : « Au nom de Dieu, le tout-miséricordieux, le très-miséricordieux. » Mais les chacals humains veulent absolument barrer la route à la miséricorde diffusée [ndlr l’islam], et placer des obstacles devant elle pour empêcher les hommes d’accéder à ses sources et les faire périr loin dans les vallées de l’angoisse et de l’ignorance. Il a fallu donc lever ces obstacles et être sévère avec leurs auteurs. Le jour où ils cesseront leur défi, cette miséricorde générale les englobera à leur tour. C’est dire que cette déficience ne comporte pas de déficience en elle-même. Toute la déficience se trouve chez celui qui s’est privé de miséricorde. Ne vois-tu pas que la miséricorde de Dieu embrasse toute chose ! Pourtant aucun associateur ou ingrat ne l’obtiendra. »
CONCLUSION
Que faut-il donc penser des valeurs éthiques et sociétales prêchées par les musulmans dits « modérés » en France quand on voit qu’ils recommandent comme livre de chevet en matière d’éthique un ouvrage qui dissocie absolument les musulmans des non-musulmans, valide totalement les châtiments corporels, fustige la pitié (valeur hautement chrétienne), cherche à débarrasser le monde de toutes les natures perverties et de tous les « chacals humains » ? Tout cela est-il bien compatible avec les valeurs humaines occidentales et françaises en particulier ?